Les arbres nous ressourcent, apaisent notre stress. Grâce notamment aux essences volatiles bénéfiques pour notre santé. C’est le constat du docteur Qing Li, médecin chercheur japonais qui étudient les effets des bains de forêt. Enquête sur un phénomène qui a le vent en poupe.
J’ai souffert pendant des années du syndrome de la page blanche de l’écrivain, raconte Anna. Lorsque j’ai le sentiment de ne pas être capable de sortir le moindre mot, je pars marcher à la campagne. J’ai mon endroit préféré. L’air y est très spécial et c’est la première chose que je remarque. Il est rempli de thym sauvage et de romarin. (…) Parfois, c’est comme si la réponse que je cherche se trouvait au milieu des arbres et qu’il me suffisait de me rendre à cet endroit. » Ainsi témoigne cette jeune femme, citée par le docteur Qing Li dans son dernier ouvrage, « Shinrin Yoku : l’art et la science du bain de forêt – Comment la forêt nous soigne » (Editions First, mars 2018).
Depuis 2005, ce médecin-chercheur dirige des recherches sur les effets des « bains de forêt » sur notre santé, à l’université de médecine de Tokyo (Japon).
Prendre des bains de forêt, se soigner par les arbres, faire une cure de « sylvothérapie »… Autant d’expressions qui désignent un même « traitement » en vogue : pratiquer de longues balades en forêt. Telle la « cure » suivie par Anna : ses promenades au milieu des arbres l’ont apparemment aidée à retrouver sa créativité dissipée.
La liste est longue des promesses revendiquées, en matière de santé et de bien-être, par les partisans de cette immersion sous la futaie. Les arbres nous ressourceraient ; ils nous transmettraient leurs « bonnes énergies », apaiseraient nos tensions, notre stress et nos états dépressifs, renforceraient notre immunité et nos capacités cognitives, amélioreraient nos troubles du sommeil, ralentiraient notre rythme cardiaque, abaisseraient notre tension artérielle, nous aideraient à nous déconnecter des écrans et à nous recentrer sur nous-mêmes…
Effet de mode ? Ou redécouverte d’une pratique séculaire, dont chacun a pu éprouver les bénéfices sur son propre bien-être ? Un peu des deux, sans doute. Car comme le rappelle Eric Brisbare, sylvothérapeute, dans son livre Un bain de forêt (Marabout, mars 2018) :
La sylvothérapie est un mélange d’héritages séculaires, venant des quatre coins du monde et d’une sagesse intuitive validée par les recherches scientifiques.
De fait, dès le 19ème siècle, des « cures sylvatiques » ont été développées pour les personnes souffrant de tuberculose dans certains pays nordiques. Ces sanatoriums étaient souvent installés en bordure de forêts et de lacs. A la même époque, la France s’intéresse au climat des forêts landaises pour la santé de ces patients. « À l’époque, le sanatorium de la côte landaise était l’un des plus importants de France », indique Eric Brisbare. Les médecins observent le mieux-être de leurs malades, après un séjour à proximité des forêts de résineux des Landes. La première mention de « cures forestières en climat sylvestre », en France, date de 1912, dans la Revue des eaux et forêts. En 1985, un ingénieur des eaux et forêts, Georges Plaisance, fait figure de pionnier en publiant Forêt et santé : guide pratique de sylvothérapie (Dangles).
La vague verte actuelle est donc portée par une houle plus ancienne. Mais elle est aujourd’hui ravivée, à l’évidence, par le chaos de notre monde dominé par le stress, la vitesse, les écrans. Cette agitation suscite, a contrario, une aspiration au calme, un désir de ressourcement dans la nature, une soif de lenteur et de sérénité : autant de vertus que nous goûtons lors d’un séjour parmi les grands arbres. Un silence relatif, aussi, sous le bruissement des feuilles et le chant des oiseaux.
« Depuis tout petit, je me promène en montagne et en forêt, raconte Eric Brisbare. Je suis devenu guide officiel de haute montagne. Depuis 2012, j’ai aussi créé des « circuits thérapeutiques » dans des biotopes très préservés des Vosges ou du Queyras, que je connais bien. Durant deux à sept jours, j’emmène des groupes de 10 à 12 personnes marcher dans des lieux retirés, loin du tourisme ; il faut des sites assez majestueux. Je leur apprends à respirer le parfum des saisons, voir le mouvement des feuilles, écouter le vent dans les branches ou le chant des oiseaux… Je les amène à comprendre le fonctionnement des arbres. Ils goûtent l’eau d’une source qui coule au pied d’un hêtre de 200 ans, touchent les troncs de différentes espèces… On a des ressentis complètement différents dans une forêt de chênes ou de mélèzes. Certains diront se sentir mieux au milieu de telle ou telle essence, à tel ou tel moment de leur parcours de vie. Ce qui me motive, c’est d’amener les gens à mettre en éveil leur cinq sens. »
Car lors de ces bains de forêt, nos cinq sens sont sollicités.
Les images, les sons, le toucher et le goût ont tous un impact puissant. Mais l’odorat est sans doute le plus influent de tous, explique le docteur Qing Li.
Son équipe a montré les effets de substances naturelles sécrétées par le monde végétal : les phytoncides. Ces huiles essentielles volatiles, libérées dans l’air par les arbres et d’autres plantes, jouent un rôle de défense contre les bactéries ou les champignons qui attaquent les plantes. Elles permettent aussi aux végétaux de communiquer entre eux.
« Nous avons mesuré la concentration des phytoncides dans les forêts – et confirmé leur abondance. Tous les arbres en produisent, mais certains sont plus odorants que d’autres. Les conifères – pins, cèdres, cyprès… – produisent en général des phytoncides (comme des terpènes) plus parfumés que les feuillus – bouleaux, peupliers… » Mais même lorsqu’elles ne sont pas odorantes, ces molécules volatiles, aux doses inhalées dans les forêts, ont des effets bénéfiques. Il est vrai, cependant, que si elles étaient appliquées pures sur la peau, elles pourraient avoir des effets irritants.
« Dans une première expérience, nous avons mis ces phytoncides au contact de cellules NK humaines, cultivées in vitro. Résultats : au bout d’une semaine, ces molécules stimulaient à la fois le nombre et l’activité de ces cellules immunitaires. Elles augmentaient aussi la concentration de protéines anti-cancer produites ».
Ensuite, l’équipe du docteur Li a testé l’effet de certains phytoncides sur les fonctions immunitaires humaines. Les chercheurs ont demandé à 12 quinquagénaires en bonne santé de séjourner trois nuits dans un hôtel de Tokyo. Durant la journée, ces hommes travaillaient normalement. Mais durant ces trois nuits, des phytoncides de cyprès – un parfum nommé hinoki, au Japon – étaient délivrés dans leur chambre, à des concentrations bien contrôlées. En dormant, ces hommes respiraient donc cette huile essentielle. « Nous avons constaté une augmentation du nombre et de l’activité de leurs « cellules tueuses naturelles » (cellules NK), une catégorie de globules blancs impliqués dans les défenses innées. La quantité de « protéines anti-cancer » que ces cellules produisaient augmentait aussi. De plus, leur taux sanguin de cortisol – la principale hormone du stress chronique – était abaissé. Ces personnes ont aussi dormi plus longtemps. Et leurs scores d’anxiété, de colère, d’hostilité et de fatigue diminuaient aussi », résume Qing Li.
Quid des essences propres aux conifères, dont l’odeur embaume souvent les forêts ? Avant de présenter leurs atouts santé présumés, Eric Brisbare, sylvothérapeute, avoue « une subjectivité assumée dans le choix des bénéfices de certains arbres ». Une précaution bienvenue. Le mélèze, d’abord : ses térébenthines seraient « utiles pour les gens dont le stress opprime le système respiratoire. » Le pin maritime, ensuite, aurait « de l’intérêt pour stimuler et dynamiser, redonner du tonus aux personnes énergiques, après une convalescence ou lors d’un épisode de fatigue. » Son huile essentielle « dégage les voies respiratoires et fluidifie les sécrétions des bronches. Elle est également anti-infectieuse et stimulante. » Le pin sylvestre, lui, « indiqué lors des jours d’hiver ensoleillés », nous aiderait, grâce au parfum de sa résine et de ses aiguilles, à « mieux respirer, à prévenir et restaurer la santé de notre système respiratoire. » Quant au pin des Alpes (pin cembro), il offrirait « un sommeil plus serein, de meilleure qualité. » Et le cèdre ? Selon le docteur Li, son odeur « est censée détendre les nerfs et calmer l’esprit. »
Plus largement, de quels autres éléments scientifiques dispose-t-on sur les « effets santé » des bains de forêts ? Le groupe du docteur Li a étudié la relation entre la répartition des forêts au Japon et le taux de mortalité en lien avec différents cancers. Verdict : les personnes vivant dans des endroits pauvres en arbres présentaient des niveaux de stress plus élevés, mais aussi un taux de mortalité supérieur à ceux des habitants de zones très boisées. Une corrélation qui ne prouve pas, cependant, un lien de cause à effet.
« L’une des premières études que j’ai menée a consisté à emmener un groupe de 12 personnes séjourner en forêt, trois jours et deux nuits, dans la région de Nagano, berceau du shinrin-yoku : on y trouve des forêts qui sont parmi les plus jolies et parfumées du Japon », raconte le docteur Qing Li. Ce médecin-chercheurs leur avait concocté un programme d’activités comme la marche. Avant et après ce séjour, il avait prélevé des échantillons de sang et d’urine chez ces personnes. Il les avait aussi soumises à un questionnaire. Résultats : après ce séjour en forêt, leur système immunitaire s’était renforcé. En particulier, le nombre de leurs cellules NK avait augmenté de 50%. Ces cellules étaient aussi 1,5 fois plus actives. Or « les personnes qui ont des cellules tueuses naturelles très actives contractent moins de maladies comme des cancers ». Après ce séjour en forêt, la quantité de certaines protéines « anti-cancer » comme la perforine, la granulysine et la granzyme A et B, avait aussi augmenté (de 28% à 48%), dans le sang de ces personnes. « Cette expérience a été renouvelée une vingtaine de fois. Nous avons aussi montré qu’à l’issue d’un bain de forêt, les hormones du stress – dont le cortisol – diminuaient. La tension artérielle baissait également. Ces effets perduraient jusqu’à 30 jours après le bain de forêt », résume Qing Li.
En parallèle, ce médecin japonais avait fait suivre le même programme d’activités à un groupe témoin, dans un milieu urbain dépourvu d’arbres, durant trois jours et deux nuits. A l’issue de ce programme, aucun des effets bénéfiques précédents n’a été observé, notamment sur le système immunitaire. « C’est vraiment l’environnement forestier qui induit ces effets positifs. Les arbres ont le pouvoir de nous délivrer de notre stress », estime Qing Li. Une précaution à rappeler, cependant : gare aux morsures de tiques. Couvrez-vous pour les éviter.
Un bémol cependant : « Je m’interroge sur l’effet spécifique des arbres, observe le professeur Vincent Renard, médecin généraliste, Président du Collège national des généralistes enseignants (CNGE). Le milieu urbain, surtout au Japon, est très chargé en polluants atmosphériques. » Pour mettre en évidence un effet propre des arbres, estime-t-il, il aurait fallu comparer des groupes d’individus similaires, motivés de la même façon, baignant dans des contextes identiques – notamment sur le plan de la pollution – avec ou sans arbres.
« Nous disposons en France d’une des forêts les plus appréciables au monde, conclut Vincent Renard. Si les gens ont du plaisir à y marcher, s’ils sont motivés, c’est très bien ! Les effets santé d’une activité physique régulière et d’un milieu indemne de pollution ont été clairement démontrés ; leur ampleur est vraiment considérable. »
Florence ROSIER
Parcours de 2 à 7 jours dans les forêts des Vosges ou du Queyras : www.unbaindeforet.fr
Pour en savoir plus
- Notre article : se reconnecter aux arbres, les bienfaits de la sylvothérapie
- Un bain de forêt, du sylvothérapeute Eric Brisbare (Marabout, mars 2018)
- Shinrin Yoku : l’art et la science du bain de forêt – Comment la forêt nous soigne, du docteur Qing Li (Editions First, mars 2018)