Surmonter une séparation

La rupture est une bombe atomique qui nous plonge dans une crise de manque. Enquête sur un bouleversement cérébral plus important qu’on ne l’imagine lorsque nous avons le cœur brisé. Avec des pistes pour aider notre cerveau à tourner la page.

La nouvelle vous a laissé(e) K.-O. debout, comme un boxeur sonné. Depuis, vous vivez un supplice. Vous passez des heures à pleurer dans la position
du fœtus sur votre canapé ou à guetter un coup de fil de l’aimé(e). Vous crapahutez sur les sommets de l’euphorie en imaginant tous les possibles devant vous puis sombrez brutalement dans les profondeurs obscures de la déprime. Vous ne vous reconnaissez plus, embarqué(e) malgré vous sur les montagnes russes de la rupture. Vous avez mal, très mal, et c’est normal : votre cerveau vient de recevoir une bombe atomique.

La rupture provoque chez l’amoureux abandonné un bouleversement cérébral important. À tel point que le sujet est de plus en plus étudié par les neuroscientifiques. Pourquoi sombrons-nous dans ces états extrêmes ? Pourquoi ne pouvons-nous pas juste tourner la page ? Pour le savoir, l’anthropologue biologiste canadienne Helen Fisher et sa collègue neurobiologiste Lucy Brown ont étudié les cerveaux placés dans une IRM de personnes ayant vécu cette expérience traumatique. Le neuroscientifique Tor D. Wager, de l’université du Colorado à Boulder, a, quant à lui, publié en mars 2017 une étude sur la douleur ressentie après une séparation non désirée. Leurs conclusions sont étonnantes : le mal-être post-rupture est aussi complexe à guérir qu’une addiction et aussi douloureux qu’une rage de dents. Et ce ne sont pas que des images. « On sous-estime généralement la souffrance provoquée par une séparation. Et pourtant les prisons sont remplies de gens qui sont allés jusqu’au meurtre parce que leur amoureux les avait quittés ! » affirme Helen Fisher.

Naissance du sentiment amoureux

Tout se passe principalement au plus profond de notre cerveau, dans deux régions proches l’une de l’autre et qui communiquent entre elles : l’aire tegmentale ventrale (VTA, pour ventral tegmental area, en anglais) et le noyau accumbens, qui forment ce qu’on appelle le circuit de la récompense. C’est
là, dans les profondeurs de notre boîte crânienne, bien en dessous du système cognitif, que naît le sentiment amoureux. Tout fonctionne selon le duo « manque-plaisir ». La VTA rassemble les informations concernant nos besoins fondamentaux, dont la reproduction, et les transmet au noyau accumbens grâce à un neuromédiateur, la dopamine, à l’origine de la sensation de plaisir. Tout ce qui vous fait penser à l’être aimé, comme une photo, va donc provoquer un flot de dopamine dans le noyau accumbens, qui va lui-même activer les circuits vous encourageant à agir afin d’obtenir toujours plus de votre bien-aimé(e). Lorsque la relation s’inscrit dans le temps, cette obsession de l’autre finit par se calmer un peu. La dopamine laisse alors la part belle à l’ocytocine, l’hormone du bien-être et du sentiment de sécurité, activée par le contact physique, les caresses échangées, puis c’est bientôt au tour de la vasopressine de faire son entrée, l’hormone de l’attachement, à l’origine du sentiment d’union calme et sereine que l’on ressent après quelques mois.
Mais une rupture stoppe brutalement cette symphonie hormonale. En état de choc, le cerveau se met à bugger et vous fait revenir au stade premier de l’amour. En plus fort. Car la VTA, qui exige toujours son « shoot » d’amour, ne reçoit désormais plus la réponse qu’elle désire. Alors elle va augmenter de volume pour obtenir satisfaction. Résultat : la dopamine inonde le cerveau. C’est aussi exactement ce qui se passe dans le cas d’une dépendance aux drogues, comme la cocaïne. « Le sentiment amoureux est bel et bien une addiction, explique Helen Fisher. Une bonne addiction quand tout se passe bien. Une très mauvaise lorsque les choses tournent mal. »
C’est ce qui explique qu’on soit capable de faire des choses insensées après une rupture, comme harceler la personne aimée, dormir sur son palier, passer
des heures à suivre son activité sur Facebook, etc. Jusqu’à ce qu’on finisse par accepter la triste réalité… « Dans cette seconde phase, dite de résignation ou de désespoir, poursuit Helen Fisher, lorsque la personne rejetée se met à penser que la récompense attendue, le retour de l’être aimé, ne viendra jamais, les cellules qui produisent la dopamine dans le circuit de récompense diminuent leur activité, ce qui produit de la léthargie, de l’abattement et de la dépression. » […]

Avec les professeurs Helen Fisher et Tor d. wager,
anthropologue et neuroscientifique