Au cœur de l’hiver, les réjouissances des fêtes passées, n’est-il pas courant d’avoir le moral en berne ? Et pour peu qu’on ne s’en cache pas, nous ne tarderons sans doute pas à entendre : « Tu ne nous ferais pas une petite dépression, toi ? » De même, la moindre altération de l’humeur chez une jeune mère est aussitôt qualifiée par elle-même ou par ses proches de « dépression post-partum ».
Les passages à vide, les périodes de désorientation ou de difficulté à s’engager dans de nouveaux projets, dans une vie habituellement bien remplie, trouvent ainsi presque systématiquement leur explication dans l’épithète générique de « dépression ». Emploi abusif de ce mot – en dehors des limites d’utilisation que le corps médical a pourtant pris soin de fixer – qui jette sur le banc des « malades » toutes celles et ceux qui n’affichent pas le niveau minimal de forme physique et mentale accepté et réclamé par la société. Or, ce qui est pourtant ici anormal, c’est surtout cette capacité à rendre pathologique ce qu’il y a en nous de plus naturel et salutaire ! Tout le vivant n’est-il pas régi en effet par la loi des cycles ? Le principe fondamental de ce monde n’est-il pas le mouvement, la variation permanente des états d’être ? Hiver, printemps, été, automne…
Pourquoi donc l’âme humaine ferait-elle exception ? N’a-t-elle pas aussi ses saisons ?
Après chaque grand moment d’exaltation, chaque accomplissement majeur, chaque période bien (ou mal) remplie, nous revivons une sorte d’hiver intérieur. Comme la femme après la plénitude de l’enfantement, le travailleur qui part à la retraite, l’artiste qui achève sa création. L’hiver de l’arbre est nudité, gel, attente. L’hiver de l’homme est absence de désirs, affects tristes, atonie. Évidemment, tout cela est loin d’être agréable. Mais n’est-on pas condamné à vivre mal ces hivers de l’âme aussi longtemps que nous en avons une représentation négative, que nous les réduisons à des « mauvaises passes » qui nous retiennent dans notre course effrénée vers toujours plus d’activités, de productivité et de « bien-être » à laquelle la société actuelle nous engage ?
Si nous apprenions à percevoir les phases descendantes de nos vies non pas comme les malheureuses contreparties de la phase ascendante mais comme leur complément et même leur consécration, nous les vivrions sans doute tout autrement. Nous réaliserions peut-être que notre terre intérieure réclame aussi sa jachère : ce temps de repos, de non-ensemencement, indispensable à la reconstitution de sa fertilité.
Comme nous l’apprend l’agriculture, une terre en repos est paradoxalement une terre intensément travaillée, mais en dedans et non du dehors : la jachère est aussi le temps des labours. De même, nos hivers intérieurs sont rarement de tout « repos ». Ils sont aussi des moments saturés de réflexions, de ruminations, de doutes, qui nous remuent dans nos habitudes, nos certitudes et nous ouvrent à d’autres possibles. Ainsi, si nous savons les accueillir, nos hivers de l’âme préparent au fond de nous-mêmes les conditions d’émergence de nouvelles expressions de notre être dans ce monde. Temps de gestation qui contient la promesse d’un nouveau printemps !
Parler de dépression à tout-va, même à la légère, favorise une représentation négative et donc un vécu anxiogène qui, eux, risquent de nuire pour de bon. Tandis que des mots comme « jachère », « régénération », « gestation » restituent à l’hiver de l’âme sa fonction vitale. Et c’est alors avec confiance que celui-ci peut être traversé, sans qu’on ait plus à en faire une maladie.
Par Inès Weber, Psychothérapeute et cofondatrice du Sésame, un lieu qui réunit athées, agnostiques et croyants autour des questions de sens communes aux traditions de sagesse (centre-sesame.com).