Printemps, espoir et nouveau-nés – Chronique de Christophe André

Une amie m’écrit pour m’annoncer la naissance de ses jumeaux. Et elle conclut son courrier par ces mots :

Puissent leurs vies embellir le monde…

Mon attention est soudain éveillée, captée. C’est magnifique et inhabituel, ce genre d’expression, dans un faire-part de naissance. Et cela va bien au-delà des petites trouvailles originales par lesquelles les parents tentent habituellement de faire partager leur joie.

Je lui demande l’origine de cette belle formule, et elle m’explique que ce sont ses mots à elle, mais inspirés de la tradition bouddhiste, dont elle est une pratiquante. Habituellement, on souhaite aux nouveau-nés, ces nouveaux venus dans l’espèce humaine, bonheur, succès et santé. Là, par ces mots si puissants, mon amie espère que les vies de ses petits bouts de chou pourront apporter aussi quelque chose aux autres, elle espère qu’ils seront doués pour l’altruisme, la compassion et l’amour du genre humain. Mais les nouveau-nés, avant même qu’ils ne soient devenus grands et bienfaisants, nous offrent déjà beaucoup, par leur simple présence.

Je me souviens que lorsque j’étais étudiant en médecine, j’avais effectué un stage en obstétrique qui m’avait passionné et ravi. J’adorais, après les accouchements, aller observer les nouveau-nés, en général prématurés, que l’on avait placés quelque temps en couveuse pour les réchauffer et les soigner. J’étais bouleversé par leur regard, par les moments où ils ouvraient leurs yeux gris pour commencer à découvrir leur existence, à découvrir et à comprendre ce monde qui allait devenir le leur. Il me semblait qu’à leur contact j’apprenais quelque chose de profond et d’indicible, que je recevais une énergie étrange de ces petits bouts d’humains concentrés et encore inachevés.

À chaque fois que nous avons la chance de pouvoir prendre un nouveau-né dans nos bras, nous sommes en contact avec la vie à l’état brut, avec la vie qui se transmet d’un vivant à un autre, qui nous englobe et nous dépasse en tant qu’individus. Nous recevons du nouveau-né cette énergie vitale, comme un cadeau. De notre mieux, nous lui offrons en retour d’autres cadeaux, ceux de notre bienveillance, de notre affection, de notre amour, de notre protection. Mais ce qu’il nous offre est incommensurable. Ce qu’il nous offre est quelque chose de très bouleversant et très archaïque, quelque chose de primitif et fondamental, qui nous rappelle la puissance et la fragilité de la Vie. C’est aussi ce que, chaque année, nous offre le retour du printemps.

Sous son influence, nous nous reconnectons à notre nature d’êtres vivants, nous réjouissant de choses simples et vitales : sentir à nouveau le soleil réchauffer notre peau, retrouver la lumière du jour à notre réveil, être accompagnés par celle du soir jusqu’à notre coucher… Souvent, l’hiver nous endort et nous éloigne de nos corps ; le printemps nous en rapproche, en refait des sources de plaisir. Et voyez comme la nature est bien faite : cette joie profonde que nous inspire le printemps est aussi le signe qu’il est bon pour notre santé. Les rayons du soleil vont permettre à notre vitamine D endogène de remonter au plus haut, les fruits et légumes frais vont nous apporter de nouveaux nutriments et de nouvelles vitamines, nous allons pratiquer davantage d’activités physiques en extérieur, ce qui va renforcer notre immunité. Et le plein d’émotions positives, car nous allons sortir du mode « repli » et « économie d’énergie » bien souvent imposé par l’hiver, pour passer davantage de temps en dehors de chez nous, bouger, rencontrer davantage de monde…

Nous allons être secoués aussi. Car l’effervescence du printemps s’accompagne de modifications biologiques multiples (neurotransmetteurs et hormones), qui peuvent s’avérer douloureuses pour les plus fragiles d’entre nous. Même si les études sont parfois contradictoires, le pic des suicides est en général observé au printemps, et non en automne comme on le croit souvent. Car ce n’est pas la douce mélancolie qui nous pousse à vouloir abréger notre vie, mais le désespoir et l’isolement. S’agit-il aussi d’un effet de contraste, lié au fait qu’il est bien sûr encore plus douloureux de ne pas être heureux quand tout l’est autour de nous, nature et humanité ? Ou est-ce lié aux micro-perturbations hormonales et biologiques associées au printemps, encore mal connues mais manifestement liées aux jours qui allongent et modifient nos horloges internes ? Les données scientifiques nous manquent aujourd’hui pour le savoir. Même l’ensoleillement agit sur nous selon des lois complexes : chez les sujets à risque, beaucoup de soleil dans la semaine précédente facilite le geste suicidaire, mais beaucoup de soleil dans les 2 mois précédents l’entrave. D’où le risque du printemps ? Pas assez de soleil dans les mois précédents pour remonter le moral, mais s’il en arrive beaucoup d’un coup, alors ce serait assez pour donner l’énergie de passer à l’acte ?

Quoi qu’il en soit, le fait est là : le printemps est un grand perturbateur, un grand agitateur ; pour l’essentiel en bien, nous offrant vitalité et envie de bouger, mais parfois aussi en mal, lorsque nous ne nous sentons pas capables de transformer l’élan qu’il nous donne en activités et projets qui aient du sens pour nous. Dans ces cas-là, inutile de se culpabiliser de ne pas être au diapason de nos semblables. Guillaume Apollinaire préférait quant à lui l’automne, qu’il nommait sa « saison mentale », et qui lui inspirait des sentiments plus apaisés – lents et mélancoliques – que le printemps, trop agité et vigoureux.

Mais quelle que soit la catégorie à laquelle vous appartenez, puisse ce printemps – réjouissant ou dérangeant – embellir vos vies ! Et puisse l’énergie nouvelle qu’il va vous apporter, tôt ou tard, vous aider vous aussi à embellir le monde, comme les petits jumeaux de mon amie…

Nos sources

  • Sunshine, serotonin, and skin : a partial explanation for seasonal patterns in psychopathology ?

Sansone R.A. et coll., Innovations in Clinical Neuroscience 2013, 10 (7-8), p. 20-24.

  • Direct effect of sunshine on suicide, Vyssoki B. et coll., JAMA Psychiatry 2014, 71 (11), p. 1231-1237.

Christophe André, médecin psychiatre

Illustration @AliceWietzel